-FÊTES DE LA PATIENCE-
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Bannières de mai
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Chanson de la plus haute tour
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L’éternité
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Âge d’or
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Jeune ménage
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Bruxelles
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Fêtes de la faim
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Honte
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Bannières de mai
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallalli.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes
Le ciel est joli comme un ange,
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fie de mes peines.
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
– Ah moins seul et moins nul ! – je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
A toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
Mai 1872
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Chanson de la plus haute tour
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Au cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la Prairie
A l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent !
Mai 1872
-Retour au FÊTES DE LA PATIENCE-
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L’éternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
Là pas d’espérance,
Nul orietur,
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Mai 1872
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Âge d’or
Quelqu’une des voix
Toujours angélique
– Il s’agit de moi –
Vertement s’explique :
Ces mille questions
Qui se ramifient
N’amènent, au fond,
Qu’ivresse et folie ;
Reconnais ce tour
Si gai, si facile :
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !
Puis elle chante. O
Si gai, si facile,
Et visible à l’oeil nu…
– Je chante avec elle, –
Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !…etc…
Et puis une Voix
– Est-elle angélique ! –
Il s’agit de moi,
Vertement s’explique ;
Et chante à l’instant
En soeur des haleines :
D’un ton Allemand,
Mais ardente et pleine :
Le monde est vicieux ;
Si cela t’étonne !
Vis et laisse au feu
L’obscure infortune.
O ! joli château !
Que ta vie est claire !
De quel Age es-tu,
Nature princière
De notre grand frère ? etc…
Je chante aussi, moi :
Multiples soeurs ! Voix
Pas du tout publiques !
Environnez-moi
De gloire pudique…etc…
Juin 1872
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Jeune ménage
La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin,
Pas de place : des coffrets et des huches !
Dehors le mur est plein d’aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.
Que ce sont bien intrigues de génies
Cette dépense et ces désordres vains !
C’est la fée africaine qui fournit
La mûre, et les résilles dans les coins.
Plusieurs entrent, marraines mécontentes,
En pans de lumière dans les buffets,
Puis y restent ! le ménage s’absente
Peu sérieusement, et rien ne se fait.
Le marié a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Même des esprits des eaux, malfaisants
Entrent vaguer aux sphères de l’alcôve.
La nuit, l’amie oh ! la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.
– S’il n’arrive pas un feu follet blême,
Comme un coup de fusil, après des vêpres.
– O spectres saints et blancs de Bethléem,
Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre !
27 juin 1872
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Bruxelles
Juillet, Boulevard du Régent
Plates-bandes d’amarantes jusqu’à
L’agréable palais de Jupiter.
– Je sais que c’est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton Bleu presque de Sahara !
Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leur jeux enclos,
Cage de la petite veuve !…
Quelles
Troupes d’oiseaux, ô iaio, iaio !…
– Calmes maisons, anciennes passions !
Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.
– La Juliette, ça rappelle l’Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au coeur d’un mont, comme au fond d’un verger
Où mille diables bleus dansent dans l’air !
Banc vert où chante au paradis d’orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.
Fenêtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C’est trop beau ! trop ! Gardons notre silence.
– Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinie,
Je te connais et t’admire en silence.
——————-
Est-elle almée ?…
Est-elle almée ?… aux premières heures bleues
Se détruira-t-elle comme les fleurs feues…
Devant la splendide étendue où l’on sente
Souffler la ville énormément florissante !
C’est trop beau ! c’est trop beau ! mais c’est nécessaire
– Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !
Juillet 1872
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Fêtes de la faim
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton âne.
Si j’ai du goût, ce n’est guères
Que pour la terre et les pierres
Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! je pais l’air,
Le roc, les Terres, le fer.
Tournez, les faims ! paissez, faims,
Le pré des sons !
L’aimable et vibrant venin
Des liserons ;
Mangez
Les cailloux qu’un pauvre brise,
Les vieilles pierres d’églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises !
Mes faims, c’est les bouts d’air noir ;
L’azur sonneur ;
– C’est l’estomac qui me tire.
C’est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles :
Je vais aux chairs de fruits blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne !
Fuis sur ton âne.
Août 1872
Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N’attendent que la cueillette;
Mais l’araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
Entends comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois !
Dans sa vapeur nette,
vers Phoebé ! tu vois
s’agiter la tête
de saints d’autrefois…
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois…
Or ni fériale
ni astrale ! n’est
la brume qu’exhale
ce nocturne effet.
Néanmoins ils restent,
– Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement !
O saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
O saisons, ô châteaux,
J’ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n’élude.
O vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n’aurai plus d’envie,
Il s’est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps,
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu’elle fuie et vole !
O saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m’entraîne,
Sa disgrâce m’est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
– O Saisons, ô Châteaux !
-Retour au FÊTES DE LA PATIENCE-
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Honte
Tant que la lame n’aura
Pas coupé cette cervelle,
Ce paquet blanc, vert et gras,
A vapeur jamais nouvelle,
(Ah ! Lui, devrait couper son
Nez, sa lèvre, ses oreilles,
Son ventre ! et faire abandon
De ses jambes ! ô merveille !)
Mais, non ; vrai, je crois que tant
Que pour sa tête la lame,
Que les cailloux pour son flanc,
Que pour ses boyaux la flamme,
N’auront pas agi, l’enfant
Gêneur, la si sotte bête,
Ne doit cesser un instant
De ruser et d’être traître,
Comme un chat des Monts-Rocheux,
D’empuantir toutes sphères !
Qu’à sa mort pourtant, ô mon Dieu !
S’élève quelque prière !
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